SOPHIE BAUDRY

DÉMARCHE ARTISTIQUE

Mon médium principal est la broderie libre à l'aiguille et au crochet de Lunéville. Ma matière première faite de fils, tissus et perles, est dans sa grande majorité issue de commerces de seconde main, de dons et d'heureux hasards. Cette base de textiles et fournitures s'est constituée par affinités sensibles, et c'est dans cet état d'esprit qu'une chute de vieux tissu moiré rose devient l'espace de surgissement d'une broderie de soie lumineuse, coton usé et polyester visqueux.

 

Je brode fil à fil, au passé plat, des taches de couleurs qui s'étendent et se décomposent sur des toiles de tissus, tendus sur mon métier de bois. Je conçois ces peintures à l'aiguille comme les expressions de mes décors intérieurs. Elles sont nourries d'atmosphères qui m'habitent et se télescopent : un salon Victorien confiné accueille une adolescente qui mâche un malabar, une crique de la méditerranée se dilue dans une avalanche de neige. En cela je suis très influencée par le récit Modianien, travaillant avec les creux que laisse la mémoire, les faux souvenirs et les impressions fugaces. J'y puise la palette de couleurs de mes ''taches'' brodées, qui s'effacent, s'épaississent, se troublent, selon l'heure et la lumière du jour.

 

J'utilise davantage de combinaisons techniques dans l'élaboration de broderies et de volumes de maille au crochet assemblés sous le titre : Nous sommes tous des mollusques. Ces productions associent des textures chaudes, froides, naturelles et artificielles. Je crée ainsi des formes vivantes indéfinies, ce qui est un principe qui régit l'ensemble de mes créations. Ces pièces sont réalisées dans la couleur blanche que je conçois comme une couleur à modeler, et à laquelle je confère une certaine sensualité.

La manière dont je mets ensuite en scène dans mes photographies des broderies comme Mélancolie fongique leur donne une attitude et une individualité singulière.

 

Chaque médium est contaminé par les autres, formant une production protéiforme et rhizomatique inspirée des métamorphoses du monde du vivant et des espaces que je traverse. Une maison délabrée, les bruissements d'une forêt, une betterave qui moisit, le flot d'une rivière, émergent par fragments d'images et de fils brodés qui deviennent d'autres paysages en lévitation sur mes toiles.